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Généralement, lorsqu’un contribuable doit de l’argent à Revenu Québec et qu’il transfert un bien à une autre personne avec qui il a un lien de dépendance, la personne qui reçoit le bien sera tenue solidairement responsable avec le contribuable de la dette de celui-ci jusqu’à concurrence du moindre :
- de la différence entre la juste valeur marchande du bien et la contrepartie donnée pour le bien; et
- le montant que le contribuable doit à Revenu Québec.
(Voir l’article 14.4 de la Loi sur l’administration fiscale (« LAF ») ou, au niveau fédéral, l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »).)
Donc, si une personne est endettée envers le fisc et qu’elle veut transférer un bien à un proche, les deux parties ont avantage à s’assurer que le transfert se fasse en échange d’une contrepartie adéquate.
L’article 14.7 de la LAF prévoit cependant une exception en cas de séparation ou de divorce :
Aux fins de l’article 14.4, lorsque le bien est cédé à un conjoint à la suite d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou à la suite d’une entente écrite de séparation, la juste valeur marchande du bien au moment de la cession est réputée égale à zéro si, à ce moment, le cédant et son conjoint vivent séparés en raison de l’échec de leur mariage.
(Soulignement ajouté.)
Le présent arrêt concerne cette exception. Voici les faits :
La contribuable se marie en 2005. En 2006, Monsieur achète la résidence familiale en son propre nom. Monsieur a des problèmes de consommation et de jeu. À la demande de la contribuable, il quitte la résidence familiale au printemps 2010. Il met sa maison en vente le mois suivant. Afin de garantir sa sécurité financière et celle de leur fils, Madame demande à Monsieur de retirer la maison du marché et de lui transférer une part des droits en échange de quoi elle accepte de renoncer à toute pension alimentaire pour elle-même.
En décembre 2010, Monsieur cède à Madame la moitié indivise de la résidence en contrepartie, en autre, de sa responsabilité conjointe dans les dettes hypothécaires grevant l’immeuble. En 2011, la résidence est vendue sous contrôle de justice pour 729 000 $. Madame reçoit sa part de l’équité, soit environ 144 000 $. Elle procède ensuite à l’achat de sa propre maison.
Au printemps 2012, la contribuable entreprend des procédures de divorce, lequel est prononcé en 2015. Dans le jugement de divorce, il y est mentionné que les effets du partage du patrimoine familial remontent à la date de la cession de la vie commune des parties.
Entretemps, Revenu Québec entreprend des vérifications fiscales en 2013 concernant Monsieur pour les années d’imposition de 2005 à 2008. Monsieur ne s’oppose pas aux avis de cotisation. Ne pouvant recouvrer contre Monsieur, Revenu Québec se tourne vers Madame et lui cotise un montant de 147 000 $. Revenu Québec arrive au montant de 147 000 $ comme suit :
- Revenu Québec établit la juste valeur marchande de la maison au moment de la cession à 700 000 $. La part de Madame est de 350 000 $ (soit 50%).
- Au moment de la cession, le solde hypothécaire était de 406 000 $. La part de Madame est de 203 000 $ (soit, encore une fois, 50%).
- 350 000 $ – 203 000 $ = 147 000 $
Le juge Georges Marsol de la Cour du Québec rejette l’appel et conclut que l’exemption prévue à l’article 14.7 de la LAF n’est pas applicable parce que l’acte de cession a été exécuté pendant que le couple était toujours marié et qu’il ne fait pas référence à la séparation ou à un accord de séparation ni ne comporte les modalités de base que comprend généralement un tel accord. Le fait que le jugement de divorce mentionne que les effets du partage du patrimoine familial remontent à décembre 2010 ne suffit pas pour satisfaire les critères de l’article 14.7 de la LAF. Le droit au partage du patrimoine familial ne confère pas un droit réel ni un droit de propriété constituant une contrepartie au sens de l’article 14.4 de la LAF. La contribuable en appelle du jugement, mais l’appel est rejeté. La Cour d’appel du Québec souscrit, en grande partie, aux motifs du juge Marsol.
La tendance jurisprudentielle en la matière tend à interpréter les dispositions relatives aux transferts de biens entre personnes liées de manière restrictive, ce qui avantage les autorités fiscales. À cet effet, il est opportun de mentionner que la Cour d’appel du Québec a rappelé dans son jugement qu’il n’est pas nécessaire que le cessionnaire ait connaissance de la dette fiscale du cédant ni l’intention de l’aider à éviter ses obligations fiscales pour être tenu responsable de la dette de ce dernier. De plus, il n’y a aucun moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable ou la bonne foi.