Photo by Anete Lusina
Le restaurant qui appartenait au fils de Monsieur Gaétan Gagné était aux prises avec des difficultés financières. Afin de l’aider, Monsieur Gagné lui a prêté de l’argent, en échange de quoi son fils lui a émis des actions de la société 9129-7903 Québec Inc. (la « Société »). La Société a omis de verser la taxe nette qu’elle devait à Revenu Québec. Après avoir tenté en vain de recouvrer la taxe nette de la Société, Revenu Québec s’est retourné contre Monsieur Gagné en tant qu’administrateur de la Société. Monsieur Gagné a donc été cotisé un montant de 162 696,42 $ (plus intérêts et pénalités). Après avoir déposé son avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt (« CCI »), Monsieur Gagné est décédé.
Généralement parlant, lorsqu’une société a manqué à son devoir de verser un montant de taxe nette et que le montant ne peut être recouvré de la société, Revenu Québec peut se retourner vers les administrateurs de cette société. Pour se soustraire à ce type de cotisation, un administrateur peut invoquer les moyens de défense suivants :
- Il n’était pas administrateur de la société. À noter que même si un particulier n’est pas administrateur de jure, il peut quand même être tenu responsable s’il est trouvé administrateur de facto (a agi en tant qu’administrateur dans les faits, même si pas administrateur selon les registres de la société).
- Plus de deux ans se sont écoulés depuis sa démission en tant qu’administrateur et la date de la cotisation contre lui.
- Il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement par la société que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.
La succession de feu Gaétan Gagné a soulevé ces trois arguments, mais le juge Réal Favreau de la CCI les a tous rejetés.
Quant à la question à savoir s’il était administrateur, les procureurs de feu Gaétan Gagné ont essayé de faire valoir que Monsieur Gagné n’avait jamais été administrateur et que les documents indiquant qu’il était administrateur avaient été exécutés à son insu. Cependant, le juge Favreau a noté qu’il était plus plausible que celui-ci était administrateur puisqu’il détenait plus de 50% des actions votantes de la Société. De plus, ce statut est confirmé par les différents documents de démission mis en preuve. En d’autres mots, pour démissionner en tant qu’administrateur, il faut l’avoir été. Vu que l’information contenue dans le Registre des entreprises du Québec est opposable aux tiers et que le nom de Monsieur Gagné y figurait en tant qu’administrateur, Revenu Québec était justifié de s’y fier. En toile de fond, il faut aussi noter l’argument mis de l’avant par Revenu Québec que durant le stade de la vérification et de l’opposition, Monsieur Gagné n’avait jamais nié avoir été administrateur de la société (de son vivant, il avait seulement invoqué le délai de prescription de deux ans suite à sa prétendue démission).
Quant au moyen de défense de diligence raisonnable, le juge Favreau écrit que bien que monsieur Gagné ait posé certains gestes pour aider la Société à rencontrer ses obligations financières, il n’y avait rien dans la preuve qui démontrait que celui-ci avait exercé ses fonctions avec la diligence et la prudence d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances, de façon à prévenir les manquements de la Société à ses obligations fiscales. Dans les faits, monsieur Gagné n’avait posé aucun geste en ce sens, bien qu’il ait été au courant des difficultés financières de la Société.
Concernant le montant de la taxe nette, n’ayant rien d’autre sur quoi se baser, la vérificatrice de Revenu Québec s’est servi des états financiers pro forma utilisés par la Société lorsqu’elle a fait une demande de prêt auprès de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Les procureurs de feu Gaétan Gagné ont contesté l’utilisation de ces états financiers qui selon eux avaient servi pour l’obtention d’un prêt et par conséquent étaient basés sur un chiffre d’affaires clairement exagéré et non réaliste. Ils ont produit d’autres états financiers préparés trois ans en retard. Le juge Favreau a conclu que la vérificatrice était justifiée de se fier sur les états financiers pro forma de la société puisqu’ils étaient les seuls états financiers disponibles à l’époque et qu’elle n’a pas eu accès aux registres comptables pour les années vérifiées. Il ajoute :
Quoiqu’il en soit, comme le précise le paragraphe 299(1) de la LTA, le ministre n’est pas lié par quelque déclaration d’un contribuable et peut établir une cotisation indépendamment du fait que la société 9129 a produit sa déclaration de revenu et ses états financiers pour l’exercice financier terminé le 28 février 2010 après la fin de la vérification. Il y a également lieu de souligner ici, qu’en vertu du paragraphe 299(4) de la LTA, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré qu’elle comporte des erreurs, des vices de forme ou des omissions.
Le juge Favreau a donc rejeté l’appel dans son entièreté, avec dépens.
La partie appelante a manqué de crédibilité dans ce dossier. Malgré le fait qu’elle ait mis de l’avant plusieurs documents et qu’elle ait fait témoigner cinq témoins, sa version des faits était contradictoire. L’ensemble des faits, incluant la manière dont un contribuable se comporte, constitue la toile de fond du dossier. Il faut toujours s’assurer d’être crédible et d’avoir une position cohérente dès le stade de la vérification. Il revient au contribuable de mettre de l’avant une preuve adéquate (et, si possible, contemporaine) afin de prouver ses allégations, faute de quoi les autorités fiscales pourront compter sur les présomptions légales pour émettre leurs cotisations.
À noter qu’être administrateur d’une société requiert un certain niveau de diligence, faute de quoi l’administrateur pourra être tenu personnellement responsable des dettes de la société.
*** Ce dossier fait référence à Revenu Québec parce qu’au Québec c’est Revenu Québec qui administre la TPS et la TVQ.