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Ce litige concerne des demandes de renseignements faites par la France et visant des fiducies dont Blue Bridge était fiduciaire. La France a fait les demandes en vertu de l’article 26 de la Convention entre le Canada et la France tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (« Convention »).
Suite à l’examen des demandes, l’ARC a envoyé à Blue Bridge des demandes péremptoires de renseignements et de documents (« DPR ») en vertu de l’article 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). Blue Bridge a accepté de coopérer au début, mais a fait volteface parce que les renseignements demandés, si dévoilés, pourraient, selon elle, mener à une imposition contraire à la Convention.
Ainsi, Blue Bridge a déposé des demandes de jugement déclaratoire et de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale en vertu des alinéas 18(1)(a) et 18.1(3)(b) de la Loi sur les Cours fédérales afin d’annuler les DPR, de déclarer qu’elle n’était pas assujettie aux lois françaises en tant que fiduciaire, et que la Convention ne permettait pas de prélever un impôt français sur un capital canadien sans nexus avec la France.
L’ARC, quant à elle, a demandé des ordonnances d’exécution en vertu du paragraphe 231.7(1) LIR vu le refus de Blue Bridge de coopérer.
Le juge Roger R. Lafrenière de la Cour fédérale a résumé les prétentions de Blue Bridge comme suit :[1]
51 Elle soutient que la République française ne peut pas prélever un impôt français sur des actifs détenus à titre de capital par des fiducies résidant au Canada sans contrevenir à l’autonomie patrimoniale des fiduciaires et à leur caractère discrétionnaire. La République française ne peut pas non plus se fonder sur la Convention pour prélever un impôt français sur un capital canadien sans nexus avec la France, pour exiger des documents qui permettent ou facilitent le prélèvement d’un tel impôt, ou pour exiger des documents qui permettent ou facilitent la double imposition.
Pour sa part, l’ARC a répondu que la Cour « n’a pas compétence pour déclarer que Blue Bridge et les Fiducies ne sont pas assujettis à la législation fiscale française concernée, ni pour statuer sur la légalité de ces dispositions. »[2] Subsidiairement, l’ARC a plaidé que les conditions prescrites pour que la Cour rende un jugement déclaratoire n’avaient pas été remplies. Finalement, l’ARC a soulevé le fait que les arguments de Blue Bridge étaient théoriques puisqu’il n’y avait aucune indication à ce stade que les documents demandés par la France entraineraient une cotisation éventuelle et que, même si c’était le cas, Blue Bridge aurait le droit de s’opposer à ces cotisations devant les instances compétentes.
Le juge Lafrenière a donné raison à l’ARC en écrivant que la Cour fédérale « n’a pas la compétence requise pour disposer des questions soulevées dans les recours de Blue Bridge. Elles sont irrecevables, car ils demandent à cette Cour de se prononcer sur le fond d’un litige qui oppose Blue Bridge et la France, et non le ministre, et ce, sans que le ministre ou la Cour soient saisis de l’ensemble des faits pertinents. »[3] Il rajoute que, même si la Cour fédérale avait la compétence pour entendre les demandes de Blue Bridge, les conditions prescrites pour qu’elle émette un jugement déclaratoire n’avaient pas été rencontrées. Le juge Lafrenière a cité l’arrêt de la Cour Suprême du Canada dans Metro Vancouver selon lequel un tribunal peut prononcer un jugement déclaratoire lorsque : « (a) la question en cause est réelle et non pas simplement théorique, (b) lorsque la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue et (c) lorsque l’intimé a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité. »[4] Or, il mentionne :[5]
Il n’appartient pas à Blue Bridge de juger de l’opportunité des choix législatifs fiscaux de la France, et de priver son administration fiscale des renseignements utiles à exercer ses fonctions de vérification. Elle ne peut pas non plus contraindre, par coup de semonce, le ministre à décider à l’avance de la validité d’éventuelles cotisations envers des contribuables français en lieu et place des instances appropriées, sur la base de faits incomplets et une connaissance superficielle des lois fiscales de la France.
Donc, le juge Lafrenière s’en est pris à l’aspect théorique du recours de Blue Bridge. De plus, il mentionne que la France, ayant un intérêt réel dans l’affaire, aurait dû être partie aux procédures.
Concernant les demandes sommaires présentées par l’ARC en vertu de l’article 231.7 LIR, le juge Lafrenière a résumé les trois conditions qui doivent être remplies pour donner lieu aux demandes. Essentiellement, une demande valide doit avoir été signifiée, la personne tenue de fournir les renseignements doit avoir refusé de faire suite à la demande et les renseignements ne doivent pas être protégés par le secret professionnel de l’avocat. Le secret professionnel de l’avocat n’ayant pas été revendiqué, seules les deux premières conditions ont été débattues. Le juge Lafrenière n’a pas eu trop de difficultés à accepter que les DPR de l’ARC découlant des demandes de la France en vertu de l’article 26 de la Convention fussent justifiées. Il précise que le devoir d’analyse de l’ARC ne porte pas sur des questions de fond, mais plutôt « sur la pertinence vraisemblable des renseignements requis par la France ».[6]
Donc, le juge Lafrenière a donné raison à l’ARC sur toute la ligne en refusant de rendre un jugement déclaratoire tel que demandé par Blue Bridge et en permettant la demande de l’ARC en vertu de l’article 231.7 LIR forçant ainsi Blue Bridge à transmettre les renseignements demandés.
Blue Bridge a porté appel de la décision à la Cour d’appel fédérale, mais a échoué.
L’ARC a le droit de demander des renseignements aux contribuables afin de vérifier qu’ils ont respecté les lois fiscales. Les gouvernements étrangers ont accès à cette information par l’entremise de l’ARC dans la mesure où les conventions fiscales le prévoient. Avec les déficits qui s’accentuent, ce droit de regard n’ira qu’en augmentant. Du point de vue du contribuable, il est très difficile de s’opposer à une telle demande. Le refus d’un contribuable d’obtempérer ne peut qu’accroître la curiosité et l’intérêt des autorités fiscales.
[1] Paragraphe 51.
[2] Paragraphe 64.
[3] Paragraphe 68.
[4] Paragraphe 70.
[5] Paragraphe 75.
[6] Paragraphe 92.