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L’arrêt Gervais Auto Inc. c. Agence du revenu du Québec est intéressant parce qu’il revient sur le fardeau de preuve du contribuable lorsque celui-ci fait appel d’une cotisation fiscale.
En 2013, 2014 et 2015, Gervais Auto vendait des véhicules d’occasion. Les actions de Gervais Auto étaient détenues par trois sociétés de gestion appartenant aux trois frères Gervais. Ces trois sociétés finançaient Gervais Auto à un taux d’intérêt de 10%. En vérifiant Gervais Auto, l’Agence du revenu du Québec (« l’ARQ ») a initialement réduit le taux à 3% et plus tard a accepté de le monter à 7.89%. L’ARQ a refusé les déductions pour dépense d’intérêt réclamées par Gervais Auto pour le pourcentage excédentaire.
Gervais Auto a interjeté appel devant la Cour du Québec, mais a échoué. La Cour du Québec a conclu que Gervais Auto n’a pas démontré que le taux de 7.89% était déraisonnable. Gervais Auto a ensuite appelé de cette décision devant la Cour d’appel du Québec. Cette fois, elle a eu gain de cause.
Il revenait à Gervais Auto, comme fardeau de preuve initial, de réfuter les faits sur lesquels l’ARQ s’est basée pour la cotiser. En l’espèce, cela réfère au taux d’intérêt de 10% que l’ARQ a considéré déraisonnable. En affirmant que Gervais Auto devait démonter que le taux de 7.89% (retenu par l’ARQ) était déraisonnable, la Cour du Québec a donc erré en droit.
Gervais Auto avait fait la preuve prima facie que le taux de 10% était raisonnable en produisant deux rapports, un provenant de Desjardins Entreprises stipulant que « le taux d’intérêt effectif pour la période de juillet 2015 pour le financement d’inventaire de véhicules sans aucune garantie dans le cadre de prêts de type « cash-flow deal » se situait entre 9% et 12% » et l’autre provenant de Deloitte concluant que le taux d’intérêt pour un financement similaire se situait entre 7.89% et 12.39%.
Puisque Gervais Auto avait présenté une preuve prima facie que le taux de 10% était raisonnable, il revenait ensuite à l’ARQ de prouver le contraire, ce qu’elle n’a pu faire. La Cour d’appel du Québec a retenu trois points à cet effet :
- L’ARQ n’a pas appelé de témoin expert pour contester la raisonnabilité du taux de 10%.
- Le rapport de vérification de l’ARQ contenait des erreurs démontrant un manque de compréhension de la part du vérificateur quant à la manière dont les taux d’intérêt étaient fixés pour les financements similaires à ceux en l’espèce.
- Durant son contre-interrogatoire, le vérificateur a concédé avoir révisé le taux de 10% à la baisse à 7.89% « non pas parce qu’il le considérait raisonnable, mais plutôt parce qu’il espérait que la demanderesse soit d’accord avec celui-ci et l’accepte puisqu’il s’agissait du plus bas des taux de la fourchette présentée au rapport de Deloitte. »
Pour conclure, la Cour d’appel du Québec a fait allusion à deux principes centraux en droit fiscal, soit qu’il ne revient pas aux autorités fiscales de substituer leurs jugements à appréciation commerciale du contribuable (le « business judgment rule ») et que le contribuable peut organiser ses affaires de façon à réduire ses obligations fiscales sans pour autant commettre une infraction.
Cette décision est intéressante parce que la Cour d’appel du Québec réitère certains principes de base en matière fiscale. La cotisation fiscale jouit d’une présomption de validité. Cependant, cette présomption peut être repoussée pourvu que le contribuable puisse présenter une preuve prima facie réfutant les faits présumés par l’ARQ. Une fois cette preuve faite, il revient à l’ARQ de justifier la validité de la cotisation qu’elle a émise.
En ce qui a trait à la notion de raisonnabilité, l’ARQ ne peut substituer son appréciation de ce qu’elle considère raisonnable à celle du contribuable. En général, le contribuable a une certaine latitude à ce niveau, en autant qu’il puisse se justifier.